AVOIR L’AIR DIFFéRENT
… Alors qu’il est utile de jeter des ponts,
même avec les groupes auxquels on n’appartient pas – et il est important de se
montrer gentilles – il est aussi impératif de ne pas faire des efforts
démesurés, de ne pas se persuader que si l’on agit comme il faut, si l’on
parvient à museler la criatura sauvage,
on pourra passer pour une dame exquise, discrète et effacée. Ce genre
d’attitude, ce désir du moi d’avoir à tout prix une appartenance, annule la
communication avec la Femme Sauvage dans la psyché. Résultat : une femme à
laquelle on a rogné les griffes, au lieu d’une femme pleine d’élan vital. Une
femme bien élevée, bien intentionnée, qui s’essouffle à vouloir être parfaite.
Non, il est meilleur pour l’âme de rester ce que nous sommes et de laisser les
autres être ce qu’ils sont.
Emotions gelées, créativité gelée
Il y a d’autres façons
d’affronter l’exil. Certaines femmes, comme le petit canard pris par la glace
sur l’étang, deviennent elles aussi de glace. C’est la pire des choses qui
puissent arriver à quelqu’un. Ce froid,
c’est le baiser de la mort donné à la créativité, aux liens affectifs, à la vie
elle-même. Devenir de glace n’est pas, au contraire de ce que semblent penser
certaines, une réussite. C’est un acte de colère défensive.
En psychologie archétypale, être
froid, c’est être dénué d’émotions. Il existe des histoires qui parlent de
l’enfant gelé, de l’enfant qui ne peut rien ressentir, de cadavres pris dans la
glace, là où le temps ne passe plus, où rien ne devient plus, où rien ne naît
plus. L’humain devenu de glace décide de ne plus rien éprouver, ni à l’égard de
lui-même, ni aussi, parfois, à l’égard des autres. Même s’il s’agit d’un
mécanisme d’autodéfense, il est nuisible à l’âme psyché car la psyché ne réagit
pas à ce qui est glacé, elle préfère la chaleur. Une attitude glacée va
éteindre la flamme de la créativité chez la femme, inhiber sa fonction
créatrice.
C’est un problème grave. Le conte
nous donne une idée pour le résoudre : il faut briser la glace et libérer
l’âme de son carcan de gel.
La femme écrivain dont
l’inspiration se tarit sait que la seule solution, c’est d’écrire pour contrer
la sécheresse. Mais si elle est prise dans la glace, elle ne peut écrire. Il
existe des peintres qui meurent d’envie de peindre mais se
disent : « Laisse tomber. Ton œuvre est moche et franchement
bizarre. » Il existe des artistes, encore incertaines ou déjà chevronnées,
qui, chaque fois qu’elles prennent la plume ou le pinceau, chaque fois qu’elles
enfilent leur justaucorps de danse ou lisent un scénario, entendent :
« tu ne fais que des choses marginales ou inacceptables, parce que tu es
toi-même marginale et inacceptable. »
La solution ? Imiter le
petit canard. Aller de l’avant, se battre. Prendre la plume, la poser sur le
papier et cesser de gémir. Ecrire. Prendre le pinceau et se mettre à peindre.
Mettre son justaucorps, attacher ses cheveux et laisser aller son corps.
Danser. Artistes de toutes disciplines, théâtre, musique, poésie et autres,
cessez de parler, enfermez-vous et pratiquez votre art. Ce qui bouge ne peut en
général geler. Alors, bouger.
Extrait du livre de Clarissa Pinkola Estés "Femmes qui courent avec les loups".
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