Cerveau embrumé et maitre à bord. Il décide de ce que je
peux mémoriser et de ce que je dois laisser de coté. Pour se protéger. Il a
failli être détruit. Non pas par un AVC ou autre maladie soudaine, mais par
trop de stress accumulé sur de nombreuses années. C’est le stress chronique. Ça
a fusillé ses neurones. Sensation d’un grésillement, décharges électriques dans
tout son espace. J’étais sur mon lieu de travail lorsque c’est arrivé. Depuis
plusieurs mois, je mémorisais tout ce qui concernait les dossiers en cours pour
pallier au manque de personnel. J’engrangeais tellement de données que cela a
provoqué la surchauffe sous mon crâne. Je suis rentrée chez moi après cet
épisode étrange, sensation douloureuse dans ma tête, j’ai dormi toute la nuit. Au réveil, j’étais
dans l’incapacité de me lever. Mon corps ne répondait plus. Le réveil avait
sonné, le mouvement habituel qui consiste à se mouvoir pour se mettre debout,
ce mouvement répété chaque matin, m’était impossible. Qui de mon corps ou de
mon cerveau était en panne ? …
C’était il y a quatre ans. Aujourd’hui je suis l’obligée de
ma substance grise. Je lui demande de mémoriser une histoire que l’on vient de
me raconter, ou le résumé d’un documentaire qui m’a intéressé, elle décide si cela en vaut la peine ou non.
Je m’incline. Mon cerveau fait le tri. Les évènements sans intérêts pour lui
passent à la trappe. Il fait le minimum syndical. Je n’ai pas le choix. Il a dû
élaguer des tas d’infos enregistrées depuis des années à commencer par tout ce
qui était en lien avec mon dernier travail. Celui pour lequel j’ai sombré et
qui m’a laissée sur le carreau. Physiquement et mentalement. Cela s’appelle un
épuisement professionnel. Je n’ai pas fait de dépression. Le fait d’être
assurée de ne plus retourner sur le lieu du « crime », me redonna le
moral. Mon état physique me préoccupa d’avantage, la perte d’énergie,
l’incapacité à me mouvoir furent très difficile à comprendre, à accepter.
Quinze jours d’arrêt auraient dû me permettre de repartir. Du moins c’est ce
que j’imaginais. Erreur totale. Ce fut long, très long. C’est comme un tsunami
qui ravage le corps et la tête, les laissant affalés sur le sable sans la force
de se lever et de repartir.
Quatre ans après, je note scrupuleusement tout : les rendez-vous
sur l’agenda que je relis plusieurs fois par jour pour être sûre d’en oublier
aucun, les courses ou choses à faire, je suis la reine des listes.
Je ne peux plus travailler. J’étudie chez moi en lisant. Une
heure maximum à la fois. Au-delà je ne comprends plus les mots lus. J’ai un
rythme lent. J’étais hyperactive et perfectionniste. J’ai usé toutes mes
cartouches. Petit à petit j’apprends à faire les choses différemment d’avant.
J’accepte cela. C’est comme si j’étais entrée d’un coup dans la vieillesse.
Avec, par instant, des petits sursauts d’énergie.
Mon cerveau est le gardien dans le brouillard de mes
pensées.
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