Vous pouvez écouter cette article !
Article écrit le 11 septembre 2018
Je relis Lambeaux de Charles Juliet. Je pensais que cet auteur était mort depuis longtemps au vu de ce qu’il écrit dans ce livre. Il a vécu à une époque lointaine. En fait, pas tant que ça. D’ailleurs je vais le rencontrer ce soir ! A la médiathèque où je vais régulièrement. Quel âge peut-il avoir ?… Il est né en 1934. Donc il a 84 ans. C’est l’âge de mon géniteur. De mon père, devrais-je dire. Mais je ne le dis pas. Un père digne de ce nom, ne ressemble pas au mien. D’après le Larousse, un père, c’est un homme qui a engendré ou qui a adopté un ou plusieurs enfants. Alors oui, mon géniteur est un père. Il n’y a pas de notion de bien ou de mal dans ce mot. Juste une fonction, dénuée de morale.
J’ai trouvé dans ce livre, Lambeaux, un recueil de phrases qui résonnent à mon oreille.
« Tu veux écrire. Tu veux écrire mais tu ignores tout ce en quoi consiste l’écriture. »
Et puis « l’uniforme que tu as quitté, tu continues de le porter à l’intérieur de toi, et quand il t’arrive de croiser un gradé, ton cœur se met à battre la chamade. Dans la rue où tu marches avec la crainte d’être pris en faute, à tout instant tu vérifies si ta veste et le col de ta chemise sont bien boutonnées et il t’a fallu un long temps avant que tu oses entrer dans un café, un temps encore plus long avant que tu ne te risques à pousser la porte d’une librairie. »
Ses mots font tellement échos à mes propres maux. A mon histoire. Fille, non pas de troupe, mais d’un militaire. Un militaire dont la rigidité n’avait d’égale que la perversité. J’étais aux ordres. A tout moment, il nous passait à l’inspection, mes frères et moi. Longtemps après, je n’ose sortir de chez moi sans me regarder x fois dans le miroir. Mon reflet est-il source de jugement ? De critique ? De raillerie ? Au début j’ai vécu la peur, celle qui vous paralyse, de croiser ce sinistre sire dans la rue. Fuir, m’enfuir, ne pas regarder en arrière.
Extrait de Lambeaux :
« Qu’on puisse croire en toi, en tes possibilités, te bouleverse, déclenche une crise de larmes, te donne envie de disparaître […] »
L’avantage, qu’en personne n’a cru en vous, en l’enfant que vous étiez, en l’adulte en devenir plein de ressources, c’est l’explosion d’émotions ressenties le jour où, enfin, quelqu’un vous dit croire en vous, en vos capacités. C’est une joie immense qui jaillit alors, sans frein. Ça déborde, on n’y comprend rien parce qu’on ne sait pas ce que c’est, ni d’où ça vient. Si seulement ça pouvait suffire à croire en soi.
Extraits :
« Tu voudrais abandonner. Mais un besoin te possède. Il est si impérieux que tu te sens impuissant à le combattre. Tu ne peux ni écrire, ni renoncer à l’écriture. Une situation proprement infernale. »
« Tu songes de temps à autres à Lambeaux. Tu as la vague idée qu’en
l’écrivant, tu les tireras de la tombe. Leur donneras la parole. Formuleras ce
qu’elles ont toujours tu. Lorsqu’elles se lèvent en toi, que tu leur parles, tu
vois s’avancer à leur suite la cohorte des bâillonnés, des mutiques, des exilés
des mots. »
« Ceux et celles qui ne se sont jamais remis de leur enfance.
Ceux et celles qui s’acharnent à se punir de n’avoir jamais été aimés.
Ceux et celles qui crèvent de se mépriser et de se haïr.
Ceux et celles qui n’ont jamais pu parler parce qu’ils n’ont jamais été
écoutés.
Ceux et celles qui ont été gravement humiliés et portent au flanc une plaie
ouverte.
Ceux et celles qui étouffent de ces mots rentrés pourrissant dans leur
gorge.
Ceux et celles qui n’ont jamais pu surmonter une fondamentale détresse. »
Je suis heureuse de relire ce
livre, heureuse de rencontrer son auteur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire