Les contractions avaient commencées dès 7h du matin. Mon premier accouchement. La date prévue pour ce grand jour, collait parfaitement avec ce début de pincements aigus dans le ventre, à intervalles réguliers, suffisamment rapprochés pour que je dise au futur papa « Ne pars pas !! » et « Reste avec moi, je vais avoir besoin de toi aujourd’hui ». Je disais cela le plus calmement possible, pour ne pas laisser paraître l’angoisse qui grandissait en moi. Savoir comment ça allait se passer … J’avais fait tout ce qu’il faut pour être prête, j’avais suivi chaque semaine les cours d’accouchement sans douleurs … Mais quand même, là, tous les quarts d’heure, cette douleur qui vous prend le ventre en étau, c’était comme vous annoncez que la suite serait à la limite du supportable !
J’ai fondu en larme, épuisée de toutes ces heures à respirer comme un chien dans une voiture au soleil, épuisée d’avoir lutté contre les douleurs malgré la péridurale (je pense qu’ils étaient en rupture de stock d’anesthésiant étant donné le peu d’effet sur moi pour calmer les souffrances). Par-dessus-tout je réalisais que les cours de préparation que j’avais suivis ne servaient à rien.
Les médecins firent donc le travail à ma place, tandis que moi, attachée les bras en croix comme une suppliciée avant la torture et la tête couverte d’une charlotte en papier, j’étais juste un ventre dont on délivrait le bébé, le pauvre, il avait dû trouver le temps long.
J’entendis pleurer, je me mis à pleurer, et on pencha mon bébé tout près de mon visage, le son de ma voix le calma immédiatement, mais je ne pus le prendre dans mes bras, vu qu’ils étaient attachés !!
Le personnel médical s’occupa de tout pendant que le médecin sifflotait en recousant les différentes strasses de mon abdomen et demandait de temps en temps « ça va madame Dupont ? » comme si on allait se faire la conversation … mais rien ne me venait là, moi si bavarde en temps normal.
Ma nuit se passa en salle de réveil, qui porte plus ou moins bien son nom … en général vers minuit je dors, or c’était mon heure d’arrivée dans ce service. Je m’endormis, donc, réveillée par une envie d’uriner … j’étais clouée dans mon lit, sans pouvoir bouger, sans doute du au reste de la péridurale dont ils avaient doublé ou quadruplé la dose pour pouvoir m’ouvrir les entrailles « Sainte Marie priez pour nous, et Jésus le fruit de vos entrailles … », m’empêchait tout mouvement, d’ailleurs n’étais-je pas encore attachée ? Toujours les bras en croix, ou presque. Je tournais la tête et vis, malgré la pénombre, une salle assez grande. Près de moi, un lit supportant un corps qui avait l’air de dormir. Mon envie d’uriner se fit encore ressentir, personne pour en parler « y a quelqu’un ? » avais-je envie de dire, mais je n’osais pas de peur de réveiller les autres … salle de réveil qu’ils disent … mon intelligence vive malgré l’état dans lequel on m’avait mise, me fit regarder tout près du lit voisin. J’aperçus ce qui me sembla être un gros tube transparent posé à même le sol, presque aussi haut que le lit, rempli d’un liquide jaune … était-ce le tube de ma voisine, ou de mon voisin, ou était-ce le mien ? Est-ce que j’étais reliée à ce truc pour évacuer mon trop plein de pipi ?...
Alors que je cogitais assidûment sur le comment de la chose, je vis une femme, (enfin je vis surtout des yeux et des dents, elle était noire, on était dans le noir …) s’approcher de moi et me demander comment j’allais. « … ça va … j’ai envie de faire pipi … » « vous pouvez faire pipi » me répondit-elle en s’éloignant. J’étais bien avancée … je me suis dit, tant pis, je fais, on verra bien si mon matelas est trempé … et … rien ne se passa. Je m’endormis, épuisée de tant de réflexions sur le sujet « pipi or not pipi ». On m’a réveillée sans doute au petit matin, cette salle de réveil n’ayant pas de fenêtres, impossible de savoir si c’était le jour ou la nuit.
On allait me transporter dans une chambre individuelle, puisque telle était mon souhait lors de l’inscription. Je questionnais les personnes qui s’approchaient de moi « mon bébé … » « Il va très bien ». C’est tout ce que j’ai réussi à obtenir comme information. Les gens semblaient très agités, allaient et venaient sans arrêt sans prendre le temps de vous adresser plus de quelques mots. Le fait de ne pas pouvoir me lever avait l’air de donner au personnel médical le droit de ne pas me parler comme on le ferait avec n’importe qui … « bonjour madame! Alors cet accouchement ? Votre bébé est en de bonnes mains, il a bien dormi, après deux biberons » ou un truc dans le genre quoi !
Non, j’ai eu droit à rien. Des personnes dont c’est le métier au vu de leurs blouses m’ont poussée, enfin ont poussé mon lit sur lequel je gisais comme une baleine dégonflée, dans une pièce dont la luminosité m’éblouit violemment. Ils m’ont laissé là, sans mots dire et ont refermé la porte…
Après un temps qui me sembla une éternité, elle s’ouvrit
violemment et je vis alors entrer une jeune femme qui poussait un
balai devant elle, fit silencieusement le ménage (ah bon, pourquoi ? c’est sale ?) et ressortit aussitôt sans un mot.
J’étais tombée dans l’hôpital le plus silencieux de la région … à part le chirurgien d’hier soir qui sifflotait joyeusement … J’étais comme une épave allongée sur le dos, encastrée dans le matelas, à me demander où était mon bébé et pourquoi personne ne me parlait !!
Soudain la porte s’ouvrit à nouveau (c’était une grosse porte qui avait l’air d’entrer dans la chambre comme un grand courant d’air) et une femme entra. Là je fais un arrêt sur image car je fus comme ébahie par son attitude : elle souriait !! Elle me souriait !! Si si je vous assure !! Sous l’effet de surprise mon visage, lui, resta figé. La femme tout en refermant la porte me demanda si j’allais bien, « ça n’a pas l’air d’aller … » me dit-elle. J’ai bafouillé un « j’ai pas de nouvelles de mon bébé … » « Comment ? Mais enfin ce n’est pas possible ! » Et elle sortit d’un coup comme elle était venue.
J’eus à peine le temps de m’assoupir que la porte s’ouvrit, plus doucement cette fois, la femme revenait poussant devant elle ce qui me semblait être un berceau transparent, avec, couché dedans comme une petite boule, mon … mon … mon … bé…bé !
« Et voilà ! » me fit elle comme si elle avait trouvé le trésor qu’on cherchait depuis des lustres ! « Il va falloir le nourrir ! Vous l’allaitez ? » « Oui, je l’allaite mais … comment ? Je ne peux pas me lever … ni m’asseoir …» Ni une ni deux elle prit mon enfant, mon trésor, mon tout petit à moi, et le posa près de moi, de manière à ce que sa tête soit à la hauteur de mon sein, énorme sein je devrais dire (oui quand vous passez du 85 D au 100 E en fin de grossesse, je peux vous dire que c’est hors norme, surtout pour une petite bonne femme comme moi). Revenons à nos moutons, oui la première tétée fut émouvante et un peu compliquée, ce n’est pas inné ces trucs-là, personne ne m’a appris, je n’ai pas mon diplôme de nourrice agréée alors bon, ce n’est pas évident.
La suite fut mieux organisée, tout le personnel soignant avait retrouvé l’usage de la parole, sauf la jeune femme de ménage qui affichait une mine déconfite, pour qui la vie devait paraître d’une tristesse sans nom, pas un sourire, pas un regard, sauf pour son balai qu’elle poussait devant elle comme si elle et lui ne faisaient qu’un, bref, la misère en personne qui entrait dans ma chambre chaque matin.
Je pus me lever le deuxième jour, encouragée par une infirmière qui, comme moi, avait eu une césarienne et me disait « ça va tirer mais vous allez y arriver !» et me voyant debout pliée en deux sans pouvoir me redresser au vu justement de la dite douleur qui tire, elle me houspillait pour me donner la niaque nécessaire à rétablir mon corps dans la position avec laquelle j’étais arrivée pour accoucher. Ça parait rien comme ça, mais être naturellement debout sans souffrir, c’est le pied.
Pour la douche, je protégeais ma cicatrice par un gros pansement plastifié. Chaque geste était une redécouverte en soi.
Le moral en pris un coup. On ne m’avait pas parlé de la dégringolade hormonale et de la déprime qui en résulte, je broyais du noir sans savoir pourquoi … la venue au monde de son premier enfant devrait être une fête dont on se réjouit chaque jour. Que nenni, je me demandais comment j’avais fait pour faire ce bébé, et tout en m’interrogeant sur cet énigme, j’avais envie de pleurer, je n’avais pas faim, j’avais envie de rentrer chez moi … bref, j’étais loin de la jeune maman épanouie …
On m’amena des fleurs, du parfum, des chocolats … rien de tout cela ne me tira un sourire. Mon mari, s’inquiétant sans doute de ma mauvaise humeur, fut le seul à m’apporter ce qui me fit sortir de cet état : un livre ! Et pas n’importe lequel ! Un livre jubilatoire dont j’aime me repaître en dehors de tout ce chamboulement hormonal, un livre qui me fit sourire à plusieurs reprises, qui m’emmena avec lui dans ses aventures burlesques, colorées, loin, très loin de l’hôpital : J’ai l’honneur de vous présenter le meilleur dérivatif à la morosité :
Frédéric Dard et ses « SAN ANTONIO » !!
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