MENU

16 septembre 2019

Invisibles séquelles


A tous les « ralentis ».                                                                      

 
En apparence, je dis bien en apparence, je dois donner l’air d’être une femme en pleine possession de ses moyens, qui passe ses journées à se reposer, à lire, à se balader et parfois à vivre des activités sociales. Ce qui ne se voit pas est complexe à décrire.

Je suis comme une pile rechargeable. Jamais complètement chargée. L’énergie nécessaire pour telle ou telle activité, même minime, me ramène à un état de fatigue plus ou moins intense, relativement rapidement. Systématiquement, je dois m’isoler pour me reposer, dormir, récupérer de l’énergie.

« Elle a l’air d’aller bien, pourquoi ne travaille-t-elle plus ? » « Elle a de la chance de ne plus avoir besoin de travailler pour vivre … » « Que fait-elle de ses journées ?… » « Elle abuse du système … encore un parasite … »

Non, je ne vais pas bien. Chaque fois que j’essaie de faire une activité cela me coûte énormément et je dois me reposer après. Mon cerveau n’a plus les capacités suffisantes pour réfléchir, lire, étudier, au-delà de deux heures. Après il faut « rembourser » ce temps donné à la réflexion ou à l’action en se mettant sur pause.


Comment réussir à faire comprendre aux personnes qui n’ont pas vécu d’épuisement professionnel ce que cela a induit en moi ? Ça fait plus de quatre ans que je me suis effondrée, physiquement et psychiquement. Cerveau et corps hors service. Comment se relève-t-on de cela ? Difficilement. Avec beaucoup, énormément de patience. De manière pragmatique, je sais que je ne peux pas avoir plus d’un rendez-vous par jour. Quand je dis rendez-vous, cela peut être  faire des courses, ou aller à un rendez-vous médical, ou participer à un groupe de paroles, ou avoir une écoute attentive pour  une personne en difficulté, ou sortir déjeuner avec une amie. Ensuite, il va me falloir un temps de repos plus ou moins long, pour récupérer un peu de l’énergie perdue et aller le lendemain vers une autre activité. Voire le surlendemain. Un jour « off » est parfois le prix à payer pour un jour avec activité.

On aimerait ne pas avoir à expliquer ce qui se passe en nous. Par économie d’énergie, on en a si peu. Mais, comment des personnes n’ayant pas vécu d’épuisement professionnel peuvent-elles comprendre, si elles n’y ont pas été personnellement confrontées ? Il faut leur donner des explications. Un minimum d’indications. C’est épuisant. On tourne en rond. Par certains cotés, le burnout fait entrer directement dans le grand âge sans en avoir vécu les phases intermédiaires. On devient une personne qui ne sait plus réfléchir longtemps, qui oublie ce qu’elle allait dire, ce qu’elle a dit, qui oublie tout. Tout se fait au ralenti. Le corps nous rappelle sans cesse à l’ordre. Se reposer est vital. Le souci est qu’on est conscient des difficultés. Cela nous désespère ou nous met en colère contre cet état de « vieille personne »  dont on n’a pas l’apparence … On devient des êtres en marge de la société actuelle qui demande sans cesse d’avancer rapidement chaque jour. On est des ralentis. Des « à contre courant ». Parce qu’on ne peut plus agir comme avant.

Cela est indépendant de notre volonté. On ne peut pas, on ne peut plus. Cela est également à contre courant des injonctions familiales, sociétales. « Quand on veut on peut ! » « Secoue toi ! », « Ne pleure pas ! » « Travaille ! » « Les chômeurs sont des fainéants, des parasites de la société » etc.

L’apparence de la personne en épuisement donne à penser qu’elle va bien. C’est tragique, car elle peut alors, ne pas être soutenue par son entourage ni être accompagnée comme elle devrait l’être. Quand on se casse une jambe, on est immobilisé, plâtré, et on ne peut plus agir physiquement tant que la fracture ne s’est pas réparée. Ensuite, il y a la période de rééducation pour réapprendre à marcher en se musclant. Interviennent tout au long de cette phase, des médecins, infirmières, kinésithérapeutes, et vu de l’extérieur on est une personne qui se répare doucement. C’est visible. Ce n’est pas vu comme du « cinéma ». Il ne viendrait à l’idée de personne de dire : « tu viens courir avec moi ? » Et on n’a pas à répliquer : « non, je ne peux pas ». C’est une évidence. Cela saute aux yeux.

L’état post burnout est tout autre. Du fait de l’invisibilité des symptômes, au mieux, on tombe sur des personnes compréhensives et empathiques, au pire, on se prend des réflexions déplacées, injustes, révoltantes. On n’a pas besoin de ça.

Les personnes qui ont été victimes d’un épuisement professionnel sont des personnes profondément bosseuses, engagées, dévouées dans beaucoup de domaines. Elles ne se sont pas écoutées quand les premiers signaux d’épuisement sont arrivés parce que ce sont des battantes (et parce qu’elles n’ont pas appris, enfant, comment prendre soin d’elles, comment être à l’écoute de leurs besoins, leurs émotions ayant été souvent étouffées dans l’œuf).
Le contraste entre la personne hyperactive, faisant front face aux difficultés de la vie que l’on était et la personne épuisée que l’on est alors, est d’autant plus difficile à vivre.  On ne se reconnaît pas, on ne se comprend pas, on est démuni face à cet état d’effondrement.

Commence alors un long travail sur soi. L’état de fatigue immense, permanente, interpelle sur sa capacité à guérir. Quand cela va-t-il s’arrêter ? Quand vais-je retrouver mon énergie d’avant ?… Sans doute jamais. Ce sera différent. Il faut faire le deuil de son « soi », celui qu’on connaissait et qui ne rechignait jamais. Mais cet être que l’on était avant, aussi fort et battant qu’il fut, ce n’était pas nous. C’était un être formaté, construit sur des injonctions familiales d’abord, sociétales ensuite pour faire de nous de parfaits petits soldats au service d’une société bâtie, entre autre, sur la consommation de biens. Avoir son logement, sa voiture, son travail. Consommer, payer, dépenser, ne pas réfléchir au sens de la vie, on n’en n’a pas le temps. On devrait pouvoir porter plainte. Ça ferait un paquet de procès…

Vient le temps de la découverte de qui on est vraiment. Déconstruire l’éducation reçue, regarder tout au fond de soi la personne vraie, authentique, indépendamment de ce qu’on lui a sommé d’être. C’est un long chemin, compliqué, difficile ; introspection obligatoire pour pouvoir avancer et se construire à son image. L’aide d’un thérapeute me semble indispensable. La volonté de le faire aussi. Mais a-t-on le choix ? L’épuisement professionnel oblige à faire ce travail. Le plus difficile est de sortir du déni. Déni de ce qui fait qu’on en est arrivé là. Prendre en compte ce qui vient de l’extérieur (entreprises dysfonctionnelles, collègues harceleurs, difficultés économiques…) et ce qui vient de l’intérieur (envie de bien faire, difficulté à s’affirmer…). Balayer du regard toutes les années précédant le burnout, depuis l’enfance. Chercher, creuser, jouer l’archéologue de son histoire. A quel moment sait-on perdu ? Comment se trouver ?

Une fois ce travail fait, de quelle que manière que ce soit, on peut commencer à dessiner la carte de sa vie passée et à envisager de construire la sienne propre.

On lui donnera un sens en adéquation avec son être profond.

Je souhaite à tous ceux qui ont vécu ou vivent l’épuisement au travail, de vivre leur renaissance et d’avancer désormais sur le chemin qu’ils se seront choisi et non celui qu’on leur aura tracé.

2 commentaires:

Perrine a dit…

Superbe texte Laurence,
Tu as vraiment balayé tous les aspects : la honte d'avoir craqué, la peur d'être jugé, l'angoisse de montrer que ça va mieux, de rechuter... le burn out avance masqué en nous grignotant sournoisement avant de se déclarer puis en s'installant confortablement à nous faire perdre patience ou confiance pour la guérison...
Renaissance, croire en notre renaissance est la clé. Regarder profondément en nous est le moyen. C'est l'heure doser être soi et de dire non à ce que l'on n'est plus, ce que l'on n'est pas !
Courage et merci pour ce texte ;-)
Perrine

Laurence a dit…

Merci Perrine, désolée pour le retard dans ma réponse, je n'avais pas vu ton message.
Bonne journée.
Laurence