A tous les
« ralentis ».
En apparence, je
dis bien en apparence, je dois donner l’air d’être une femme en pleine
possession de ses moyens, qui passe ses journées à se reposer, à lire, à se
balader et parfois à vivre des activités sociales. Ce qui ne se voit pas est
complexe à décrire.
Je suis comme
une pile rechargeable. Jamais complètement chargée. L’énergie nécessaire pour
telle ou telle activité, même minime, me ramène à un état de fatigue plus ou
moins intense, relativement rapidement. Systématiquement, je dois m’isoler pour
me reposer, dormir, récupérer de l’énergie.
« Elle a
l’air d’aller bien, pourquoi ne travaille-t-elle plus ? » « Elle
a de la chance de ne plus avoir besoin de travailler pour vivre … »
« Que fait-elle de ses journées ?… » « Elle abuse du
système … encore un parasite … »
Non, je ne vais
pas bien. Chaque fois que j’essaie de faire une activité cela me coûte
énormément et je dois me reposer après. Mon cerveau n’a plus les capacités
suffisantes pour réfléchir, lire, étudier, au-delà de deux heures. Après il
faut « rembourser » ce temps donné à la réflexion ou à l’action en se
mettant sur pause.
Comment réussir
à faire comprendre aux personnes qui n’ont pas vécu d’épuisement professionnel
ce que cela a induit en moi ? Ça fait plus de quatre ans que je me suis
effondrée, physiquement et psychiquement. Cerveau et corps hors service.
Comment se relève-t-on de cela ? Difficilement. Avec beaucoup, énormément
de patience. De manière pragmatique, je sais que je ne peux pas avoir plus d’un
rendez-vous par jour. Quand je dis rendez-vous, cela peut être faire des courses, ou aller à un rendez-vous
médical, ou participer à un groupe de paroles, ou avoir une écoute attentive
pour une personne en difficulté, ou
sortir déjeuner avec une amie. Ensuite, il va me falloir un temps de repos plus
ou moins long, pour récupérer un peu de l’énergie perdue et aller le lendemain
vers une autre activité. Voire le surlendemain. Un jour « off » est
parfois le prix à payer pour un jour avec activité.
On aimerait ne
pas avoir à expliquer ce qui se passe en nous. Par économie d’énergie, on en a
si peu. Mais, comment des personnes n’ayant pas vécu d’épuisement professionnel
peuvent-elles comprendre, si elles n’y ont pas été personnellement confrontées ?
Il faut leur donner des explications. Un minimum d’indications. C’est épuisant.
On tourne en rond. Par certains cotés, le burnout fait entrer directement dans
le grand âge sans en avoir vécu les phases intermédiaires. On devient une
personne qui ne sait plus réfléchir longtemps, qui oublie ce qu’elle allait
dire, ce qu’elle a dit, qui oublie tout. Tout se fait au ralenti. Le corps nous
rappelle sans cesse à l’ordre. Se reposer est vital. Le souci est qu’on est
conscient des difficultés. Cela nous désespère ou nous met en colère contre cet
état de « vieille personne » dont on n’a pas l’apparence … On devient des
êtres en marge de la société actuelle qui demande sans cesse d’avancer
rapidement chaque jour. On est des ralentis. Des « à contre
courant ». Parce qu’on ne peut plus agir comme avant.
Cela est
indépendant de notre volonté. On ne peut pas, on ne peut plus. Cela est également
à contre courant des injonctions familiales, sociétales. « Quand on veut
on peut ! » « Secoue toi ! », « Ne pleure pas ! » « Travaille ! » « Les chômeurs sont des
fainéants, des parasites de la société » etc.
L’apparence de
la personne en épuisement donne à penser qu’elle va bien. C’est tragique, car
elle peut alors, ne pas être soutenue par son entourage ni être accompagnée
comme elle devrait l’être. Quand on se casse une jambe, on est immobilisé, plâtré,
et on ne peut plus agir physiquement tant que la fracture ne s’est pas réparée.
Ensuite, il y a la période de rééducation pour réapprendre à marcher en se
musclant. Interviennent tout au long de cette phase, des médecins, infirmières,
kinésithérapeutes, et vu de l’extérieur on est une personne qui se répare
doucement. C’est visible. Ce n’est pas vu comme du « cinéma ». Il ne
viendrait à l’idée de personne de dire : « tu viens courir avec
moi ? » Et on n’a pas à répliquer : « non, je ne peux
pas ». C’est une évidence. Cela saute aux yeux.
L’état post
burnout est tout autre. Du fait de l’invisibilité des symptômes, au mieux, on
tombe sur des personnes compréhensives et empathiques, au pire, on se prend des
réflexions déplacées, injustes, révoltantes. On n’a pas besoin de ça.
Les personnes
qui ont été victimes d’un épuisement professionnel sont des personnes
profondément bosseuses, engagées, dévouées dans beaucoup de domaines. Elles ne
se sont pas écoutées quand les premiers signaux d’épuisement sont arrivés parce
que ce sont des battantes (et parce qu’elles n’ont pas appris, enfant, comment prendre soin d’elles, comment être à l’écoute de leurs besoins, leurs émotions ayant
été souvent étouffées dans l’œuf).
Le contraste entre
la personne hyperactive, faisant front face aux difficultés de la vie que l’on
était et la personne épuisée que l’on est alors, est d’autant plus difficile à
vivre. On ne se reconnaît pas, on ne se
comprend pas, on est démuni face à cet état d’effondrement.
Commence alors
un long travail sur soi. L’état de fatigue immense, permanente, interpelle sur
sa capacité à guérir. Quand cela va-t-il s’arrêter ? Quand vais-je retrouver
mon énergie d’avant ?… Sans doute jamais. Ce sera différent. Il faut faire
le deuil de son « soi », celui qu’on connaissait et qui ne rechignait
jamais. Mais cet être que l’on était avant, aussi fort et battant qu’il fut, ce
n’était pas nous. C’était un être formaté, construit sur des injonctions
familiales d’abord, sociétales ensuite pour faire de nous de parfaits petits
soldats au service d’une société bâtie, entre autre, sur la consommation de
biens. Avoir son logement, sa voiture, son travail. Consommer, payer, dépenser,
ne pas réfléchir au sens de la vie, on n’en n’a pas le temps. On devrait
pouvoir porter plainte. Ça ferait un paquet de procès…
Vient le temps
de la découverte de qui on est vraiment. Déconstruire l’éducation reçue,
regarder tout au fond de soi la personne vraie, authentique, indépendamment de
ce qu’on lui a sommé d’être. C’est un long chemin, compliqué, difficile ;
introspection obligatoire pour pouvoir avancer et se construire à son image.
L’aide d’un thérapeute me semble indispensable. La volonté de le faire aussi.
Mais a-t-on le choix ? L’épuisement professionnel oblige à faire ce
travail. Le plus difficile est de sortir du déni. Déni de ce qui fait qu’on en
est arrivé là. Prendre en compte ce qui vient de l’extérieur (entreprises dysfonctionnelles,
collègues harceleurs, difficultés économiques…) et ce qui vient de l’intérieur
(envie de bien faire, difficulté à s’affirmer…). Balayer du regard toutes les
années précédant le burnout, depuis l’enfance. Chercher, creuser, jouer
l’archéologue de son histoire. A quel moment sait-on perdu ? Comment se
trouver ?
Une fois ce
travail fait, de quelle que manière que ce soit, on peut commencer à dessiner
la carte de sa vie passée et à envisager de construire la sienne propre.
On lui donnera un
sens en adéquation avec son être profond.
Je souhaite à
tous ceux qui ont vécu ou vivent l’épuisement au travail, de vivre leur renaissance
et d’avancer désormais sur le chemin qu’ils se seront choisi et non celui qu’on
leur aura tracé.
2 commentaires:
Superbe texte Laurence,
Tu as vraiment balayé tous les aspects : la honte d'avoir craqué, la peur d'être jugé, l'angoisse de montrer que ça va mieux, de rechuter... le burn out avance masqué en nous grignotant sournoisement avant de se déclarer puis en s'installant confortablement à nous faire perdre patience ou confiance pour la guérison...
Renaissance, croire en notre renaissance est la clé. Regarder profondément en nous est le moyen. C'est l'heure doser être soi et de dire non à ce que l'on n'est plus, ce que l'on n'est pas !
Courage et merci pour ce texte ;-)
Perrine
Merci Perrine, désolée pour le retard dans ma réponse, je n'avais pas vu ton message.
Bonne journée.
Laurence
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