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29 août 2019

Le corps n'oublie rien de Bessel van der Kolk


Le corps n’oublie rien,
Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme

De Bessel Van der Kolk


Livre paru aux États-Unis en 2014 et en France en 2018.
L’auteur est un psychiatre américain d’origine néerlandaise, spécialiste du stress post traumatique, professeur de psychiatrie à la Boston University, a fondé le Trauma Center de Boston.

J’ai lu ce livre en juillet 2019,  j’étais tombée dessus par hasard à la médiathèque que je fréquente régulièrement. Quelle aubaine ! C’est un des rares livres en français que je connaisse, qui analyse aussi clairement ce que l’auteur nomme le traumatisme développemental, c'est-à-dire le traumatisme dont les enfants maltraités sont victimes. Plutôt que d’essayer maladroitement d’expliquer ce dont Bessel van der Kolk parle, je vais recopier des extraits qui me semblent pertinents. Si cet article vous donne envie de lire son ouvrage ce sera déjà bien. Puisse mon article vous apporter un éclairage nouveau, ou complémentaire à ce que vous connaissez déjà sur les conséquences de la maltraitance dans l’enfance sur la vie d’adulte.

Ce livre est, pour moi,  dans la lignée de ce qu’Alice Miller a déjà étudié bien des années avant, avec, on ne peut que s’en réjouir, plus de trente ans d’études sur le terrain, de recherches, d’analyses sur le stress post traumatique. A commencé par l’étude des comportements des vétérans de guerre, depuis la première guerre mondiale aux guerres actuelles en passant par la guerre du Vietnam.


Extraits :

« Quand des enfants se sentent en permanence coupables ou en colère ou lorsqu’ils ont une peur chronique d’être abandonnés, ces sentiments viennent d’une expérience réelle. Par exemple, s’ils craignent qu’on les abandonne, ce n’est pas en réaction à des pulsions homicides intrinsèques, mais plutôt parce qu’on les a abandonnés physiquement ou psychologiquement, ou qu’on les a souvent menacés. Quand des enfants sont plein de rages, cela vient souvent d’un rejet ou de mauvais traitements. Si leur colère les plonge dans un conflit intérieur intense, c’est peut-être bien parce que l’exprimer est interdit voire dangereux. » Alain Soufre, professeur émérite de psychologie de l’enfant à l’Université de Minnesota.

[…] Quand le médecin Vincent Felitti (directeur de l’hôpital Kaiser de San Diego) a commencé à étudier la chose (inceste et obésité), il a été choqué de découvrir que la plupart des patients qui souffraient d’obésité morbide avaient subis des sévices sexuels dans leur enfance. Il a aussi décelé une foule d’autres problèmes familiaux. […] Comme le dit Felitti « les expériences traumatiques tombent souvent dans l’oubli masquées par le temps, la honte, le secret et le tabou social ». Son étude a révélé que leur impact marquait toute la vie d’adulte.

A ce moment du livre il donne comme exemple de conséquences sur la vie d’adulte :
Grand absentéisme professionnel, problèmes financiers, revenus plus faibles, davantage de dépressions, de tentatives de suicide, la mort semble la seule issue, davantage d’alcoolisme, de dépendances à la drogue. Les filles ont beaucoup plus tendance à finir dans des couples violents, les garçons sept fois plus de chance de frapper leurs futures partenaires.

Le jour où Robert Anda a présenté les résultats de l’étude sur les ENE (expériences négatives de l’enfance), il n’a pu retenir ses larmes. Pendant toute sa carrière aux centres de contrôle et de  prévention des maladies, il avait travaillé sur des facteurs de risques majeurs dont le tabac et les problèmes cardiovasculaires. Mais quand les données de cette étude ont commencé à apparaître sur son ordinateur, il a pris conscience que son équipe était tombée sur le plus grave problème de santé publique aux Etats-Unis : la maltraitance infantile. Il a calculé que son coût total dépassait celui du cancer ou des maladies cardiaques et que l’éradiquer diviserait par 2 le taux global de dépression par 3 celui de l’alcoolisme et par 4 la proportion de suicides, de sida lié à la drogue et de violence conjugale.

Cette étude n’a pas eu d’impact. La réalité quotidienne des enfants maltraités aux États-Unis n’a presque pas changée. On leur administre de fortes doses de psychotropes ce qui les rend plus malléables mais nuit à leur aptitude au plaisir, à la curiosité à se développer émotionnellement et intellectuellement et à devenir membre à par entière de la société. […]

« Notre cerveau est sculpté par nos expériences, et la maltraitance le burine pour qu’il encaisse les coups mais au prix de blessures profondes. La maltraitance infantile n’est pas une chose qu’on « surmonte ». C’est un mal que nous devons reconnaître et affronter si nous voulons lutter contre le cycle de violence incontrôlé  dans ce pays.
                                                                       Docteur Martin Teicher « Scientific american »

[…] Qu’apporterait le diagnostic du trouble de traumatisme développemental ?
Tout d’abord cela permettrait d’axer le traitement et les recherches (sans parler de leur financement) sur ce qui se trouve à l’arrière plan des symptômes des traumatisés chroniques, adultes et enfants : dérégulation générale (émotionnelle et biologique), échec ou perturbation de l’attachement, problème de concentration, profond déficit du sentiment d’identité et de l’estime de soi. Ces questions englobent et dépassent presque toutes les catégories diagnostiques, mais tout traitement qui ne les place pas au 1er plan est voué à l’échec. Notre grand défi consiste à appliquer les connaissances en matière de neuroplasticité, soit la souplesse des circuits cérébraux, pour reprogrammer les cerveaux et réorganiser l’esprit des patients que la vie a conditionnés à voir les autres comme des menaces et à se percevoir comme faibles. Le soutien social est une nécessité biologique pas un choix.

[…] Si le problème lié au SSPT (syndrome de stress post traumatique) est la dissociation, le but de son traitement peut être l’association : l’intégration des éléments isolés du traumatisme dans la trame continue de la vie, pour que le cerveau puisse reconnaître sa place dans le passé. 

[…] en 1896, Freud a affirmé témérairement : « La cause première de l’hystérie est toujours la séduction de l’enfant par un adulte ». Puis, confronté à l’idée d’une épidémie d’abus sexuel dans les meilleures familles de Vienne – auxquels a-t-il noté, son propre père aurait été mêlé, il a rapidement battu en retraite. La psychanalyse a mis alors l’accent sur les désirs et les fantasmes inconscients mais Freud a continué à reconnaître par moment la réalité des abus sexuels. Quand les horreurs du 1er conflit mondial ont révélé les névroses de guerre, il a réaffirmé que le manque de souvenir verbal était au centre du traumatisme et que si un homme ne se souvient pas, il risque de passer à l’acte : «  il reproduit [le fait], non comme un souvenir, mais sous forme d’action ; il le répète sans savoir bien sûr qu’il répète et, à la fin, nous comprenons que c’est sa façon de se souvenir. »

[…] Dès 1980, le DSM III a reconnu dans les critères de diagnostic de l’amnésie dissociative, l’existence d’une perte de mémoire due aux événements traumatiques : «Incapacité à se rappeler une information personnelle importante, souvent de nature traumatique ou stressante, trop profonde pour être expliquée par une simple distraction. » L’amnésie a fait partie des critères du SSPT depuis la création de ce diagnostic.

Une des recherches les plus intéressantes sur le souvenir refoulé a été conduite au début des années 1970 par Lynda Meyer Williams. Entamée pendant ses études de sociologie, elle reposait sur les interviews de 206 filles, âgées de dix à douze ans, qui avaient été admises aux urgences pour abus sexuel. Leurs examens médicaux et leurs témoignages ont été soigneusement conservés dans leurs dossiers hospitaliers. 17 ans plus tard, Linda Williams a retrouvé 136 de ses filles qui devenues adultes lui ont accordé des interviews complémentaires. 38% d’entre elles ne se rappelaient pas l’abus sexuel cité dans leur dossier, 12% ont déclaré n’en n’avoir jamais subi, et 68% ont parlé d’autres agressions analogues.
Les femmes les plus sujettes à l’amnésie étaient celles qui étaient les plus jeunes au moment des faits et celle qui avaient été violées par une personne de leur connaissance.
Cette étude a aussi examiné la fiabilité des souvenirs retrouvés, 16% des femmes qui se rappelaient l’abus sexuel ont déclaré l’avoir oublié à un moment donné. Comparées à celles qui l’avaient toujours gardé en mémoire ces femmes étaient plus jeunes à la date du viol et moins susceptibles d’avoir trouvé de l’aide auprès de leur mère. De plus la chercheuse a établi que les souvenirs retrouvés étaient à peu près aussi fidèles que ceux qui n’avaient jamais été perdus : toutes les réminiscences des femmes du panel étaient justes pour l’essentiel, mais ne correspondaient pas trait pour trait aux récits portés dans leur dossier.

SOUVENIR ORDINAIRE ET SOUVENIR TRAUMATIQUE

En 1994 avec mes collègues de l’hôpital du Massachusetts, j’ai lancé une étude pour comparer les modes d’évocation des expériences anodines et horribles. Nous avons placé l’annonce suivante dans des journaux locaux, des foyers d’étudiants et des laveries automatiques : « Vous est-il arrivé une chose terrible que vous ne pouvez pas chasser de votre esprit ? Appelez le 727-500. Nous offrons 10 dollars pour la participation à cette étude. »
76 personnes (surtout des femmes) se sont manifestées. Après nous être présentés, nous avons commencé par leur demander : « Pouvez-vous nous citer un événement de votre vie qui restera toujours gravé dans votre mémoire mais n’est pas traumatique ? »
[…] « la naissance de ma fille » « le jour de mon mariage » « quand j’étais major de ma promotion ».
Puis nous leur avons demandé de se concentrer sur les détails sensoriels de ces événements comme : « vous arrive-t-il d’être quelque part et d’avoir soudain une image frappante de votre mari le jour de votre mariage ? »
Les réponses étaient invariablement négatives. […] puis nous les avons interrogées sur les traumatismes qui les avaient poussées à participer à l’étude – essentiellement des viols : « l’odeur de votre violeur vous revient-elle parfois soudainement en mémoire ? » « Vous arrive-t-il d’éprouver les mêmes sensations que durant votre viol ? » Ces questions créaient de fortes réactions émotionnelles : « c’est pour ça que je ne vais plus à des  soirées,  parce que, dès que je sens une haleine avinée, l’ai l’impression qu’on va encore me violer. »

La manière dont ces femmes évoquaient des expériences positives et des événements traumatiques présentaient deux différences importantes :

1-      dans le mode d’organisation de leurs souvenirs.
2-      Dans leurs réactions physiques à ces derniers.

Elles se rappelaient les mariages, les naissances et les remises de diplôme comme des événements du passé – des histoires avec un début, un milieu et une fin. Aucune ne disait avoir oublié une de ces expériences à certaines périodes. En revanche, leurs souvenirs traumatiques étaient désorganisés. Toutes se rappelaient certains événements trop clairement (l’odeur de leur violeur, la plaie à la tête d’un enfant mort) mais aucune ne pouvait évoquer l’enchainement des faits ou les détails essentiels (la 1ére personne qui les avait aidée, si une voiture de police ou une ambulance les avaient amenées à l’hôpital).
[…] elles ont répondu qu’elles n’avaient jamais pu dire ce qui c’était passé dans la suite immédiate du choc […] Presque toutes avaient des flash-back répétés. Au fil du temps, d’autres sentiments et détails sensoriels ont été activés, mais la plupart des femmes ont aussi commencé à pouvoir leur donner du sens. Peu à peu elles ont « su » ce qui c’était passé et ont pu raconter cette histoire à d’autres personnes – une histoire que l’on nomme « le souvenir du traumatisme ». 

[…] au cours de notre étude 85% des participantes ont pu raconter une histoire cohérente, avec un début, un milieu et une fin. Seules quelques-unes n’ont pas réussi à donner des détails importants. Nous avons noté que les cinq femmes au récit les plus fragmentés étaient celles qui disaient avoir été violées dans leur enfance : leurs souvenirs leur revenaient toujours sous forme d’images, de sensations et d’émotions intenses.

En somme notre étude a confirmé l’existence du double système mnésique que Janet et ses collègues de la Salpêtrière avaient décrit 100 ans auparavant : les souvenirs traumatiques sont foncièrement différents des histoires que l’on raconte sur le passé. Ils sont dissociés : les sensations qui entrent dans le cerveau pendant le traumatisme ne sont pas réunies de manière à former un récit, un épisode autobiographique.

La plus grande découverte de notre étude a peut-être été que la remémoration du traumatisme, avec tous les affects qui l’accompagnent, ne le résout pas forcément, contrairement à ce qu’affirmaient Breuer et Freud en 1893. Elle n’a pas étayé la thèse que la parole peut remplacer l’action. La plupart des femmes que nous avons interrogées ont pu raconter une histoire cohérente et éprouver la souffrance associée à celles-ci, mais elles étaient toujours hantées par des sensations intolérables.

Si dans la première moitié du livre, l’auteur parcours l’historique du traitement des stress post traumatiques, ainsi que les découvertes faites sur ce que ces traumatismes créent chez les individus, dans la deuxième partie il donne des exemples de méthodes qui peuvent soulager et même guérir des traumatismes. C’est plutôt une bonne nouvelle même s’il explique que c’est plus compliqué dans le cas du traumatisme développemental.

Guérir du traumatisme : retrouver la maitrise de soi

Personne ne peut « soigner » une guerre, un abus sexuel, un viol, une agression – ni aucune atrocité ; les horreurs du passé ne peuvent être annulées. Ce que l’on peut traiter ce sont les traces que le traumatisme laisse sur le corps, l’esprit et l’âme : la peur de perdre son sang-froid ; la vigilance constante par crainte d’un danger ou d’un rejet ; la haine de soi ; les cauchemars et les flash-back ; le brouillard qui empêche de s’investir pleinement dans ce que l’on fait ; l’incapacité à ouvrir tout son cœur à une autre personne. 

Le traumatisme prive du sentiment d’être maître de soi. Ce que j’appelle le « self leadership » dans les chapitres suivants. Quand on veut le surmonter,  la difficulté consiste à reprendre possession de son corps et de son esprit – de son moi – soit à se sentir libre de savoir ce que l’on sait et d’approuver ce qu’on éprouve sans être bouleversé, honteux ou furieux.
Pour la plupart des gens cela suppose :
1- Trouver un moyen de se calmer et de se concentrer.
2- Apprendre à garder ce calme face à des images, des pensées, des sons ou des sensations qui rappellent le passé.
3- Arriver à être pleinement vivant dans le présent et investi dans ses rapports avec son entourage.
4- Ne rien occulter notamment les tactiques que l’on a mises en œuvre pour survivre.

Ces objectifs ne sont pas des étapes à franchir une à une, dans  un ordre immuable. En fait ils se chevauchent et peuvent être plus ou moins difficiles à atteindre selon les patients.

Je ne vais pas continuer à écrire ici des extraits, ce serait trop long pour un article de blog. La suite du livre est une mine d’or pour les thérapeutes ou les personnes victimes de traumatismes. Il y décrit les thérapies qui fonctionnent, selon lui, et qu’il a expérimentées personnellement et sur des patients pendant des années : L’EMDR, l’IFS (Internal Familial System) ou thérapie du système familial intérieur, le Yoga, le théâtre, la PBSP (Pesso Boyden Psychomotor) ou thérapie psychocorporelle, le Neurofeedback.

C’est pour partager cela que j’ai écrit ici.

Bonne lecture et bon cheminement si le cœur vous en dit ! 

Le 29 août 2019






























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