Le corps n’oublie rien,
Le
cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme
De
Bessel Van der Kolk
Livre paru aux États-Unis en 2014
et en France en 2018.
L’auteur est un psychiatre
américain d’origine néerlandaise, spécialiste du stress post traumatique,
professeur de psychiatrie à la Boston University, a fondé le Trauma Center de
Boston.
J’ai lu ce livre en juillet
2019, j’étais tombée dessus par hasard à
la médiathèque que je fréquente régulièrement. Quelle aubaine ! C’est un
des rares livres en français que je connaisse, qui analyse aussi clairement ce
que l’auteur nomme le traumatisme développemental, c'est-à-dire
le traumatisme dont les enfants maltraités sont victimes. Plutôt que d’essayer
maladroitement d’expliquer ce dont Bessel van der Kolk parle, je vais recopier
des extraits qui me semblent pertinents. Si cet article vous donne envie de
lire son ouvrage ce sera déjà bien. Puisse mon article vous apporter un
éclairage nouveau, ou complémentaire à ce que vous connaissez déjà sur les
conséquences de la maltraitance dans l’enfance sur la vie d’adulte.
Ce livre est, pour moi, dans la lignée de ce qu’Alice Miller a déjà
étudié bien des années avant, avec, on ne peut que s’en réjouir, plus de trente
ans d’études sur le terrain, de recherches, d’analyses sur le stress post
traumatique. A commencé par l’étude des comportements des vétérans de guerre,
depuis la première guerre mondiale aux guerres actuelles en passant par la
guerre du Vietnam.
Extraits :
« Quand
des enfants se sentent en permanence coupables ou en colère ou lorsqu’ils ont
une peur chronique d’être abandonnés, ces sentiments viennent d’une expérience
réelle. Par exemple, s’ils craignent qu’on les abandonne, ce n’est pas en
réaction à des pulsions homicides intrinsèques, mais plutôt parce qu’on les a
abandonnés physiquement ou psychologiquement, ou qu’on les a souvent menacés.
Quand des enfants sont plein de rages, cela vient souvent d’un rejet ou de
mauvais traitements. Si leur colère les plonge dans un conflit intérieur
intense, c’est peut-être bien parce que l’exprimer est interdit voire
dangereux. » Alain Soufre, professeur émérite de psychologie de l’enfant à
l’Université de Minnesota.
[…]
Quand le médecin Vincent Felitti (directeur de l’hôpital Kaiser de San Diego) a commencé à étudier la chose (inceste
et obésité), il a été choqué de découvrir
que la plupart des patients qui souffraient d’obésité morbide avaient subis des
sévices sexuels dans leur enfance. Il a aussi décelé une foule d’autres
problèmes familiaux. […] Comme le dit Felitti « les expériences
traumatiques tombent souvent dans l’oubli masquées par le temps, la honte, le
secret et le tabou social ». Son étude a révélé que leur impact marquait
toute la vie d’adulte.
A ce moment du livre il donne comme
exemple de conséquences sur la vie d’adulte :
Grand absentéisme professionnel,
problèmes financiers, revenus plus faibles, davantage de dépressions, de
tentatives de suicide, la mort semble la seule issue, davantage d’alcoolisme,
de dépendances à la drogue. Les filles ont beaucoup plus tendance à finir dans
des couples violents, les garçons sept fois plus de chance de frapper leurs
futures partenaires.
Le
jour où Robert Anda a présenté les résultats de l’étude sur les ENE
(expériences négatives de l’enfance), il n’a pu retenir ses larmes. Pendant
toute sa carrière aux centres de contrôle et de prévention
des maladies, il avait travaillé sur des facteurs de risques majeurs dont le
tabac et les problèmes cardiovasculaires. Mais quand les données de cette étude
ont commencé à apparaître sur son ordinateur, il a pris conscience que son
équipe était tombée sur le plus grave problème de santé publique aux
Etats-Unis : la maltraitance infantile. Il a calculé que son coût total
dépassait celui du cancer ou des maladies cardiaques et que l’éradiquer
diviserait par 2 le taux global de dépression par 3 celui de l’alcoolisme et
par 4 la proportion de suicides, de sida lié à la drogue et de violence
conjugale.
Cette
étude n’a pas eu d’impact. La réalité quotidienne des enfants maltraités aux États-Unis n’a presque pas changée. On leur administre de fortes doses de
psychotropes ce qui les rend plus malléables mais nuit à leur aptitude au
plaisir, à la curiosité à se développer émotionnellement et intellectuellement
et à devenir membre à par entière de la société. […]
« Notre
cerveau est sculpté par nos expériences, et la maltraitance le burine pour
qu’il encaisse les coups mais au prix de blessures profondes. La maltraitance
infantile n’est pas une chose qu’on « surmonte ». C’est un mal que nous
devons reconnaître et affronter si nous voulons lutter contre le cycle de
violence incontrôlé dans ce pays.
Docteur
Martin Teicher « Scientific american »
[…]
Qu’apporterait le diagnostic du trouble
de traumatisme développemental ?
Tout
d’abord cela permettrait d’axer le traitement et les recherches (sans parler de
leur financement) sur ce qui se trouve à l’arrière plan des symptômes des
traumatisés chroniques, adultes et enfants : dérégulation générale
(émotionnelle et biologique), échec ou perturbation de l’attachement, problème
de concentration, profond déficit du sentiment d’identité et de l’estime de
soi. Ces questions englobent et dépassent presque toutes les catégories
diagnostiques, mais tout traitement qui ne les place pas au 1er plan
est voué à l’échec. Notre grand défi consiste à appliquer les connaissances en
matière de neuroplasticité, soit la souplesse des circuits cérébraux, pour
reprogrammer les cerveaux et réorganiser l’esprit des patients que la vie a
conditionnés à voir les autres comme des menaces et à se percevoir comme
faibles. Le soutien social est une nécessité biologique pas un choix.
[…]
Si le problème lié au SSPT (syndrome de stress post traumatique) est la
dissociation, le but de son traitement peut être l’association :
l’intégration des éléments isolés du traumatisme dans la trame continue de la
vie, pour que le cerveau puisse reconnaître sa place dans le passé.
[…]
en 1896, Freud a affirmé témérairement : « La cause première de
l’hystérie est toujours la séduction de l’enfant par un adulte ». Puis,
confronté à l’idée d’une épidémie d’abus sexuel dans les meilleures familles de
Vienne – auxquels a-t-il noté, son propre père aurait été mêlé, il a rapidement
battu en retraite. La psychanalyse a mis alors l’accent sur les désirs et les
fantasmes inconscients mais Freud a continué à reconnaître par moment la
réalité des abus sexuels. Quand les horreurs du 1er conflit mondial
ont révélé les névroses de guerre, il a réaffirmé que le manque de souvenir
verbal était au centre du traumatisme et que si un homme ne se souvient pas, il
risque de passer à l’acte : « il reproduit [le fait], non comme un
souvenir, mais sous forme d’action ; il le répète sans savoir bien sûr
qu’il répète et, à la fin, nous comprenons que c’est sa façon de se
souvenir. »
[…]
Dès 1980, le DSM III a reconnu dans les critères de diagnostic de l’amnésie
dissociative, l’existence d’une perte de mémoire due aux événements
traumatiques : «Incapacité à se rappeler une information personnelle
importante, souvent de nature traumatique ou stressante, trop profonde pour
être expliquée par une simple distraction. » L’amnésie a fait partie des
critères du SSPT depuis la création de ce diagnostic.
Une
des recherches les plus intéressantes sur le souvenir refoulé a été conduite au
début des années 1970 par Lynda Meyer Williams. Entamée pendant ses études de
sociologie, elle reposait sur les interviews de 206 filles, âgées de dix à
douze ans, qui avaient été admises aux urgences pour abus sexuel. Leurs examens
médicaux et leurs témoignages ont été soigneusement conservés dans leurs
dossiers hospitaliers. 17 ans plus tard, Linda Williams a retrouvé 136 de ses
filles qui devenues adultes lui ont accordé des interviews complémentaires. 38%
d’entre elles ne se rappelaient pas l’abus sexuel cité dans leur
dossier, 12% ont déclaré n’en n’avoir jamais subi, et 68% ont
parlé d’autres agressions analogues.
Les
femmes les plus sujettes à l’amnésie étaient celles qui étaient les plus jeunes
au moment des faits et celle qui avaient été violées par une personne de leur
connaissance.
Cette
étude a aussi examiné la fiabilité des souvenirs retrouvés, 16% des femmes qui
se rappelaient l’abus sexuel ont déclaré l’avoir oublié à un moment donné.
Comparées à celles qui l’avaient toujours gardé en mémoire ces femmes étaient
plus jeunes à la date du viol et moins susceptibles d’avoir trouvé de l’aide
auprès de leur mère. De plus la chercheuse a établi que les souvenirs retrouvés
étaient à peu près aussi fidèles que ceux qui n’avaient jamais été
perdus : toutes les réminiscences des femmes du panel étaient justes pour
l’essentiel, mais ne correspondaient pas trait pour trait aux récits portés
dans leur dossier.
SOUVENIR
ORDINAIRE ET SOUVENIR TRAUMATIQUE
En
1994 avec mes collègues de l’hôpital du Massachusetts, j’ai lancé une étude
pour comparer les modes d’évocation des expériences anodines et horribles. Nous
avons placé l’annonce suivante dans des journaux locaux, des foyers d’étudiants
et des laveries automatiques : « Vous est-il arrivé une chose
terrible que vous ne pouvez pas chasser de votre esprit ? Appelez le
727-500. Nous offrons 10 dollars pour la participation à cette étude. »
76
personnes (surtout des femmes) se sont manifestées. Après nous être présentés,
nous avons commencé par leur demander : « Pouvez-vous nous citer un
événement de votre vie qui restera toujours gravé dans votre mémoire mais n’est
pas traumatique ? »
[…]
« la naissance de ma fille » « le jour de mon mariage »
« quand j’étais major de ma promotion ».
Puis
nous leur avons demandé de se concentrer sur les détails sensoriels de ces
événements comme : « vous arrive-t-il d’être quelque part et d’avoir
soudain une image frappante de votre mari le jour de votre
mariage ? »
Les
réponses étaient invariablement négatives. […] puis nous les avons interrogées
sur les traumatismes qui les avaient poussées à participer à l’étude –
essentiellement des viols : « l’odeur de votre violeur vous
revient-elle parfois soudainement en mémoire ? » « Vous
arrive-t-il d’éprouver les mêmes sensations que durant votre viol ? »
Ces questions créaient de fortes réactions émotionnelles : « c’est
pour ça que je ne vais plus à des
soirées, parce que, dès que je
sens une haleine avinée, l’ai l’impression qu’on va encore me violer. »
La
manière dont ces femmes évoquaient des expériences positives et des événements
traumatiques présentaient deux différences importantes :
1- dans le mode d’organisation de leurs
souvenirs.
2- Dans leurs réactions physiques à ces
derniers.
Elles
se rappelaient les mariages, les naissances et les remises de diplôme comme des
événements du passé – des histoires avec un début, un milieu et une fin. Aucune
ne disait avoir oublié une de ces expériences à certaines périodes. En
revanche, leurs souvenirs traumatiques étaient désorganisés. Toutes se
rappelaient certains événements trop clairement (l’odeur de leur violeur, la
plaie à la tête d’un enfant mort) mais aucune ne pouvait évoquer l’enchainement
des faits ou les détails essentiels (la 1ére personne qui les avait aidée, si
une voiture de police ou une ambulance les avaient amenées à l’hôpital).
[…]
elles ont répondu qu’elles n’avaient jamais pu dire ce qui c’était passé dans
la suite immédiate du choc […] Presque toutes avaient des flash-back répétés.
Au fil du temps, d’autres sentiments et détails sensoriels ont été activés,
mais la plupart des femmes ont aussi commencé à pouvoir leur donner du sens.
Peu à peu elles ont « su » ce qui c’était passé et ont pu raconter
cette histoire à d’autres personnes – une histoire que l’on nomme « le
souvenir du traumatisme ».
[…]
au cours de notre étude 85% des participantes ont pu raconter une histoire
cohérente, avec un début, un milieu et une fin. Seules quelques-unes n’ont pas
réussi à donner des détails importants. Nous avons noté que les cinq femmes au
récit les plus fragmentés étaient celles qui disaient avoir été violées dans
leur enfance : leurs souvenirs leur revenaient toujours sous forme
d’images, de sensations et d’émotions intenses.
En
somme notre étude a confirmé l’existence du double système mnésique que Janet
et ses collègues de la Salpêtrière avaient décrit 100 ans auparavant : les
souvenirs traumatiques sont foncièrement différents des histoires que l’on
raconte sur le passé. Ils sont dissociés : les sensations qui entrent dans
le cerveau pendant le traumatisme ne sont pas réunies de manière à former un
récit, un épisode autobiographique.
La
plus grande découverte de notre étude a peut-être été que la remémoration du
traumatisme, avec tous les affects qui l’accompagnent, ne le résout pas
forcément, contrairement à ce qu’affirmaient Breuer et Freud en 1893. Elle n’a
pas étayé la thèse que la parole peut remplacer l’action. La plupart des femmes
que nous avons interrogées ont pu raconter une histoire cohérente et éprouver
la souffrance associée à celles-ci, mais elles étaient toujours hantées par des
sensations intolérables.
Si dans la première moitié du
livre, l’auteur parcours l’historique du traitement des stress post
traumatiques, ainsi que les découvertes faites sur ce que ces traumatismes
créent chez les individus, dans la deuxième partie il donne des exemples de
méthodes qui peuvent soulager et même guérir des traumatismes. C’est plutôt une
bonne nouvelle même s’il explique que c’est plus compliqué dans le cas du
traumatisme développemental.
Guérir
du traumatisme : retrouver la maitrise de soi
Personne
ne peut « soigner » une guerre, un abus sexuel, un viol, une
agression – ni aucune atrocité ; les horreurs du passé ne peuvent être
annulées. Ce que l’on peut traiter ce sont les traces que le traumatisme laisse
sur le corps, l’esprit et l’âme : la peur de perdre son sang-froid ;
la vigilance constante par crainte d’un danger ou d’un rejet ; la haine de
soi ; les cauchemars et les flash-back ; le brouillard qui empêche de
s’investir pleinement dans ce que l’on fait ; l’incapacité à ouvrir tout
son cœur à une autre personne.
Le
traumatisme prive du sentiment d’être maître de soi. Ce que j’appelle le
« self leadership » dans les chapitres suivants. Quand on veut le
surmonter, la difficulté consiste à
reprendre possession de son corps et de son esprit – de son moi – soit à se
sentir libre de savoir ce que l’on sait et d’approuver ce qu’on éprouve sans
être bouleversé, honteux ou furieux.
Pour
la plupart des gens cela suppose :
1-
Trouver un moyen de se calmer et de se concentrer.
2-
Apprendre à garder ce calme face à des images, des pensées, des sons ou des
sensations qui rappellent le passé.
3-
Arriver à être pleinement vivant dans le présent et investi dans ses rapports
avec son entourage.
4-
Ne rien occulter notamment les tactiques que l’on a mises en œuvre pour
survivre.
Ces
objectifs ne sont pas des étapes à franchir une à une, dans un ordre immuable. En fait ils se chevauchent
et peuvent être plus ou moins difficiles à atteindre selon les patients.
Je ne vais pas continuer à écrire
ici des extraits, ce serait trop long pour un article de blog. La suite du
livre est une mine d’or pour les thérapeutes ou les personnes victimes de
traumatismes. Il y décrit les thérapies qui fonctionnent, selon lui, et qu’il a
expérimentées personnellement et sur des patients pendant des années :
L’EMDR, l’IFS (Internal Familial System) ou thérapie du système familial
intérieur, le Yoga, le théâtre, la PBSP (Pesso Boyden Psychomotor) ou thérapie
psychocorporelle, le Neurofeedback.
C’est pour partager cela que j’ai
écrit ici.
Bonne lecture et bon cheminement si
le cœur vous en dit !
Le 29 août 2019
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