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14 janvier 2021

"Ce pays que tu ne connais pas"

Parcours d’une vie.

Je lis le livre de François Ruffin « Ce pays que tu ne connais pas ». Dès le début j’ai la larme à l’œil, quand il raconte la vie des gens, une caissière, une femme de ménage, avec leurs prénoms, leurs histoires, leurs galères, leurs misères. Puis je suis étonnée, énervée, abasourdie par ce personnage de Macron, oui oui, le Président actuel de la France mais pas des français, puis je me surprends à rire sur une boutade de Zoubir sur la momie, et puis après je pleurs carrément. Alors j’écris ce texte, après m’être mouchée bien sûr !

 

Ce qu’il raconte, François Ruffin, dans la description de deux mondes, celui dans lequel baigne Macron, et l’autre, celui des pauvres qui ont une vie sans vie, ça remue en moi des émotions lointaines, ce discours familial distillé par mon géniteur sur les élites dont on devait faire partie, sur l’entre soi, la moquerie des classes inférieures. Et ces mots que l’on disait dans la bourgeoisie catho dont je suis issue, « nos pauvres », on avait « nos pauvres » … J’y crois pas aujourd’hui quand je réalise cela … On donnait généreusement des vêtements que l’on ne mettait plus, ce qui en soi est bien. Mais, ce qui remonte en moi de l’époque c’est le ressenti d’alors, une sorte de mépris pour ces gens sans le sou. J’ai fui.

J’ai dû fuir mon milieu familial pour survivre à la toxicité paternelle, et je suis entrée de plein pied dans un monde inconnu pour moi. Logée dans un foyer de jeunes travailleuses. Un foyer dont le nom cache la réalité. Des jeunes filles de mon âge, issues surtout de la classe dite populaire, cabossées par la vie. Parcours faits de violence familiale, d’abandon, d’inceste, sans le sou … Je tombais des nues. Je découvrais un milieu social différent du mien, dont je ne connaissais rien. De mon coté, la violence familiale existait aussi, psychologique et physique, mais une violence camouflée de l’extérieur par des airs de bonne famille à la bonne éducation. Dehors tout est lissé, propre sur soi, ordonné, discipliné, enfants sages … accréditant l’image de bons parents.

Bref, j’ai commencé rapidement des petits boulots en Intérim, pour ne plus dépendre financièrement de mon géniteur. C’était le début des années 80, et du boulot y en avait. J’ai fait serveuse, livreuse de fleurs, standardiste « brigade », hôtesse d’accueil, correctrice de factures … Je prenais tout ce qu’on me donnait, fallait que je mange, que je vive. Apprentissage sur le tas. Caméléon social. J’étais volontaire, bosseuse, pas regardante sur le salaire … De fil en aiguille j’ai trouvé un travail en contrat à durée indéterminé : embauchée ! Le Graal ! Un travail vraiment sans intérêt mais mon objectif était de gagner ma croûte. Objectif atteint, 4500 francs par mois.

Et puis je me suis mariée, et puis j’ai eu deux enfants, deux filles, et puis l’une a eu un cancer à deux ans, et puis des années plus tard, un divorce, le chômage, la dégringolade financière. Vaches maigres. Les enfants d’abord, mais même ça on ne peut pas toujours y arriver. Fallait serrer la ceinture, faire des choix, compter, recompter, y a pas assez … Le plus difficile c’est de faire face au sentiment de honte. Honte de ne pas s’en sortir, honte de se son inutilité. Y avait pas de travail. J’ai mis du temps à comprendre que le problème ne venait pas de moi mais de la crise de l’emploi. Dans mon secteur professionnel, dans ma région, rien. J’étais pas outillée pour ouvrir une société. Et quoi comme société ? Et avec quel argent ? … Plus de sous, plus de travail et c’est l’isolement social.

Premier rendez-vous avec une assistante sociale parce que je ne pouvais pas payer ma taxe d’habitation. Je ne savais même pas ce qu’était une assistante sociale. Mon éducation « élitiste » en prenait un coup ! Il faut mettre sa fierté dans sa poche et pousser la porte avec sur son front le mot « honte » qui clignote. Je me souviens d’une femme souriante, gentille, bienveillante. La tête qu’elle a faite quand elle a vu ce que je touchais au chômage et ce que je devais payer en charges fixes … Que restait-il pour manger ? Je tenais mes comptes au centime près. Il le fallait. Elle a monté un dossier pour pleurer auprès des impôts que, vraiment, au vu de ma situation, c’était compliqué pour moi de payer cette taxe. C’est la seule fois où j’ai fait appel au service social. Et franchement, ce genre de démarche ça vous fait ravaler votre fierté, humilité obligée. Quand je lis le livre de François Ruffin, je m’y revois, moi la « battante », je suis allée quémander. Et l’autre là, le Président, à aller donner des leçons à tous ceux qui n’ont pas de travail, comme si du travail il y en avait à gaver pour tout le monde …

Mon chômage a duré des mois. Petit à petit je me sentais exclue, de la société, isolée dans ma déchéance, ne sachant que faire. J’ai obtenu de faire un stage d’anglais, via Pôle emploi, ce qui m’a apporté surtout du lien social, et la remise à niveau de cette langue trop peu utilisée donc oubliée. Mais j’insiste sur le coté social. C’est ce qui donne du sens à l’existence. Isolé, c’est foutu.

Un jour une amie m’a dit qu’un poste était à pourvoir au guichet d’une banque, que je pouvais m’y présenter rapidement au nom d’un ami à elle. J’y fus. J’ai été embauchée en CDD un mois, renouvelable. Super ! Sauf que je n’y connaissais rien. J’ai tout appris sur le tas avec le stress qui va avec. J’ai serré les dents, fallait que je sorte du chômage, de l’isolement, du manque d’argent. J’ai assuré, la peur au ventre, la faim au ventre. Ça a duré cinq mois, ils m’ont remerciée après que j’ai formé ma remplaçante qui, elle, avait un master en finance, et allait faire carrière dans cette branche. J’ai trouvé incongrue de devoir lui apprendre le job avec seulement mon Bac + 2 (qui ne leur suffisait pas pour m’embaucher) tout en sachant que j’étais poussée vers la sortie. L’orgueil en prend un coup. Retour vers la galère. J’ai détesté ce milieu professionnel, non pas les personnes avec qui je travaillais, elles étaient toutes sympas, mais ce milieu de la finance. Apparemment cela m’éloigne encore plus du Président Macron… Et pourtant on y gagne bien sa vie. Même simple guichetière …

Et puis, retour à Pôle emploi … Cinq mois plus tard, une annonce, enfin ! Je téléphone, je fais le forcing, je suis disponible tout de suite. Je suis prise. Sous payée, exploitée. J’y connaissais rien mais fallait bien prendre ce job. J’ai tout appris, j’étais plus que compétente. Un an puis deux, puis trois, puis sept, je ronge mon frein, tout part à vau-l’eau, suppression de postes, surcharge de travail, pour finir au placard. J’ai tenu, pour payer mes factures, pour manger, pour survivre … Jusqu’au bout. Jusqu’au burn-out. Vlan ! Prends-toi ça dans la tronche ! Une larve. Pour le coup, plus moyen de jouer à la battante, plus moyen de faire semblant d’aller bien, KO.

Deux ans d’arrêt maladie. Invalidité. Et la retraite ? On en parle ou pas ? Non, je garde ça pour une prochaine fois.

Qu’est-ce qu’il connaît Macron, ce donneur de leçons, de la vie des français ?





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